Assis en terrasse d’un bistro du quartier Saint-Michel, je laisse mourir des morceaux de sucre dans mon café. C’est un joli soir de juillet. Les morceaux de sucre se dissolvent lentement et implacablement comme des espoirs meurtris d’un amour peu prometteur. Et toujours cette malchance qui me colle au corps et à l’âme comme une verrue sous le pied droit d’un garçon de café gauche.
Quelque soit la couleur des yeux des femmes, je ne fais que m’y noyer.
C’est le bleu d’un lac aux eaux glacées.
C’est le gris d’une mer déchaînée.
Et le brun d’un marais profond dans l’ombre d’une forêt sombre.
Tout autour de moi, la nuée humaine ne parle que pour parler. C’est à en vouloir d’être sourd. Les mots des phrases vides tombent sur le trottoir gris et se font piétiner. Ma tête est lourde et semble prise entre les fortes mâchoires d’un étau.
Je retrouve un peu de calme en marchant le long de la Seine. Les cloches de l’église Saint Sévérin sonnent les dix heures moins le kir. Le crépuscule arrive à pas légers dans la tiédeur de ce soir d’été. Au niveau de la Conciergerie, des hommes-grenouilles retirent une jeune sirène du fleuve. Elle porte des longs cheveux châtains et des yeux d’un vert pâle sous ses paupières mi-closes. Son cœur bat doucement sous sa poitrine fine.
Les lumières de l’ambulance déchirent la nuit et emportent la fille loin de moi. Les hommes-grenouilles disparaissent en bondissant dans le soir. Les badauds s’en vont aussi avec tous leurs mauvais racontars. Me tenant sur le rebord du quai, je contemple les remous du fleuve. Je fais quelques pas en amont et je m’arrête à l’endroit où la jeune femme se jeta dans les eaux grises. Je sors de la poche droite de mon pantalon ma trompette pliable, modèle breveté Boris Vian. Et je libère de l’instrument une musique un peu triste mais non sans espoir.
En fixant, sur le dernier accord, les pointes de mes chaussures, je le remarque : un étau. Tout autour de lui poussent de frêles fleurs. Et des mésanges coquines veulent y faire leur nid. Un merle et un rossignol chantent Girls in their summer clothes de Bruce Springsteen. Et mon âme laisse pousser des ailes et je m’envole vers la petite sirène. Soufflant fort dans ma trompette, glissant dans l’air doux vers un futur amour d’été.